Décès suite à une sédation vigile dans un centre dentaire lié à une association médicamenteuses contre-indiquée

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Décès suite à une sédation vigile dans un centre dentaire lié à une association médicamenteuses contre-indiquée

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  • Soins dentaires sur un homme sénior - La Prévention Médicale

La mise en place d’une analgésie et/ou d’une sédation ne dispense pas d’un examen clinique préalable, consigné par écrit, qui servira de point de référence et guidera une éventuelle prise en charge en cas de problème. Comme pour tout geste médical, le rapport bénéfice/risque doit être évalué afin d’éviter de transformer une situation encore contrôlable en une situation où les effets iatrogènes sont lourds de conséquences. Ces actes doivent être réalisés par des professionnels, formés au sein de structures habilitées. 

Auteur : Dr Béatrice Aknine, Chirurgien-dentiste / MAJ : 08/12/2023

Chronologie des faits

Un patient âgé de 80 ans, mesurant 1m60 pour 60 kg, non-fumeur, souffre d’un trouble du rythme traité par Rythmol® prescrit par un médecin cardiologue. Il a pour antécédents médicaux : glaucome, arthrose, herpès, zona et pour antécédents chirurgicaux : prothèse totale de hanche à gauche, appendicectomie.

Il consulte au centre dentaire pour une parodontite terminale (déchaussement dentaire) nécessitant l’extraction des dents résiduelles sur l’arcade. Son chirurgien-dentiste lui propose une réhabilitation totale par prothèses complètes supra-implantaires sur les arcades maxillaires et mandibulaires.

Le 13 février 2020, première intervention au cabinet dentaire mise en œuvre par le chirurgien-dentiste seul : début intervention à 9h20,  sous anesthésie locale, 8 capsules de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml soit 544 mg (la dose maximale pour un patient de 60 kg est de 500 mg d’articaïne) d’anesthésique local. Deux incisives centrales mandibulaires sont extraites. 

À 9 h 50 :  l’intervention est interrompue par le chirurgien-dentiste en raison de "mouvements anormaux qualifiés de convulsion, perte de connaissance, difficulté à parler". L’épisode est spontanément résolutif en quelques minutes. Le patient revient à lui. Le praticien lui donne un verre d’eau + Glucopulse®

À 10 h 10 : intervention des pompiers non médicalisés après régulation, qui notent des vomissements et relèvent : TA 11/7, fréquence cardiaque 68/min, SpO2 basse (67 %), corrigée en partie sous oxygénothérapie à fort débit.

Le patient est transféré au Centre Hospitalier pour prise en charge et bilan étiologique. 

Lors de la prise en charge au Centre Hospitalier, le compte-rendu mentionne : 

  • Tension artérielle est à 122/84, la fréquence cardiaque à 59, une température de 35°, SpO2 96 % sous 12 l/min d’oxygène.
  • Patient conscient, orienté Glasgow = 15/15.
  • ECG montre un rythme sinusal sans trouble de la conduction.
  • EEG montre un aspect normal.
  • Le scanner cérébral conclut à l’absence de foyer ischémique ou hémorragique.
  • La biologie note une discrète élévation de la myoglobine et de la troponine ultra-sensible, ainsi qu’une hypoxémie modérée, corrigée par l’oxygénothérapie (PaO2 88mmHg sous 6L/min d’O2).
  • Un état clinique rassurant. 

Un avis neurologique sollicité, propose la réalisation d’une IRM en externe, complétée par une consultation de neurologie afin de faire un bilan de cette "convulsion" postanesthésie.

Dans l’hypothèse, non écartée, d’un accident allergique, il est prescrit un corticoïde et un antihistaminique. Fin de la prise en charge au Centre Hospitalier.

Un "débriefing" aurait eu lieu au centre suite à la survenue de l’évènement, aucun compte rendu écrit n’en a été fait. Selon le chirurgien-dentiste, le bilan médical est rassurant, il relève chez le patient d’une anxiété ce qui le conduit à proposer la réalisation du geste chirurgical sous anesthésie locale et sédation consciente intra-veineuse confiée à un médecin anesthésiste (externe à la structure mais recommandé par un des chirurgiens-dentistes du centre, l’anesthésiste pratiquerait la sédation vigile au fauteuil depuis 2000). 

Le 01/03/2020, Le médecin anesthésiste reçoit en consultation pré-anesthésique le patient. Le bilan anesthésique mentionne :

  • Le patient a fait un malaise au cabinet dentaire dont le bilan étiologique est négatif. 
  • NB : Le bilan à cet instant n'est pas complet en particulier l'IRM cérébrale demandée ne sera réalisée que le lendemain. 
  • Il est noté que le patient est sous "Rythmol®" pour des palpitations. 
  • L’électrocardiogramme et le bilan biologique sont notés sans particularité. 
  • Au plan pulmonaire, il est noté que le patient est asymptomatique. A l'issue de la consultation, le risque anesthésique est classé ASA 2, une sédation est prévue.  

Aucune fiche d'information relative aux risques anesthésiques n'est communiquée au patient, aucun formulaire de consentement à la sédation vigile n’est signé par le patient.

L’IRM réalisée le 2 mars 2020 conclut : atrophie cortico-sous corticale sous et sus tentorielle et leucoaraïose. Probable séquelle d’infarctus capsulo-lenticulaire droit, ne s’accompagnant pas d’œdème péri-lésionnel ni d’effet de masse sur les structures environnantes.

Le 24 mars 2020 deuxième intervention au centre dentaire (début 9h00 fin 9h51).

À 9 h : préparation pré-opératoire du patient (pose d’un bandeau au niveau des yeux) + sédation consciente par voie intra-veineuse = Valium® 1 mg + Atarax® 100 mg en perfusion sur 5 minutes (la dose maximum ? chez le patient âgé est de 50 mg).

Par l’intermédiaire d’un oxymètre de pouls,  la saturation en oxygène et la fréquence cardiaque sont surveillées . Il n’y a pas de surveillance de la tension artérielle. 

À  9 h 10 : IVL peropératoire par perfusion de Perfalgan®+ Acupan®+ Profénid®.

À 9 h 15 : injection locale à la mandibule par le chirurgien-dentiste de 6 capsules d’anesthésie locale de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml soit 408 mg d’anesthésique locale. Réalisation de l’incision et décollement. Extraction de 10 dents. Curetage des alvéoles. Pose de 6 implants.

À 9 h 45 : injection locale à la mandibule par le chirurgien-dentiste de 8 capsules anesthésie locale de 1,7 ml contenant articaïne 40 mg/ml et 0,01 mg d’adrénaline/ml, soit 544 mg d’anesthésique locale. Il s’agit là d’un surdosage patent pouvant aboutir à un arrêt cardio respiratoire. Réalisation d’une Incision. Décollement. Extraction de 6 dents. Pose de deux implants supplémentaires à la mandibule. 

À 9 h 55 : le patient se met à ronfler (preuve d’une somnolence liée à un approfondissement du niveau de sédation). Dans les minutes qui suivent, le chirurgien-dentiste constate que le champ opératoire devient brusquement exsangue (signe d’un bas débit sanguin, voire d’un arrêt circulatoire). Dans le même temps, le médecin anesthésiste constate une perte du signal au saturomètre, qu’il a interprétée dans un premier temps comme un problème technique d’appareillage lors de la pose d'un implant à la mâchoire inférieure. A ce moment, le médecin anesthésiste cherche un pouls carotidien qui est absent, il ôte le bandeau des yeux du patient et constate la perte de conscience. 

Le médecin anesthésiste entreprend le massage cardiaque externe sur le fauteuil des soins dentaires après l’avoir mis en position horizontale, estimant que le fauteuil constitue un plan assez dur. Une ventilation manuelle oxygénée au masque est réalisée.

À 10 h 05 : Appel du SMUR, qui arrive à 10 h 14. Le  patient, en arrêt cardio-respiratoire, est intubé par le médecin anesthésiste et mis sous assistance respiratoire. Injection de 3 mg d’adrénaline. 

Transfert au service de réanimation du centre hospitalier. À l'arrivée, il est noté :

  • Sur le plan hémodynamique, le patient est hypotendu avec bradycardie sinusale réagissant bien à l'atropine. On note une bonne stabilité hémodynamique.
  • L’ECG transthoracique ne montre pas de signes en faveur d'un infarctus du myocarde ni d'anomalie ventriculaire droite pouvant faire évoquer, de manière indirecte, une embolie pulmonaire. On note plutôt des éléments en faveur d'une hypovolémie. La fonction systolique du ventricule gauche est satisfaisante, sans amines. 
  • Le bilan biologique montre une acidose (ph=7,15) mixte respiratoire (PCO2 54) et surtout métabolique d'origine lactique (bicarbonate 19, acide lactique 6,5), témoignant de l'hypoxie tissulaire liée à l'arrêt circulatoire. La kaliémie est élevée, en relation avec l’acidose. 

Un avis cardiologique est sollicité, qui ne conclut pas à une indication de coronarographie en urgence :

  • Sur le plan neurologique, l'état est très préoccupant : le patient est dans le coma sans sédation, pas de réflexes du tronc cérébral, mydriase bilatérale aréactive à distance de l'injection d'adrénaline. 
    Une hypothermie thérapeutique est instaurée sur le plan ventilatoire, le patient est intubé, ventilé, il persiste une activité ventilatoire spontanée. 
  • Sur le plan stomatologique : appel d'un stomatologue en raison d'une hémorragie endo buccale liée au fait que les sites dentaires opérés étaient restés largement ouverts.

Le lendemain, la famille est informée de la situation. Compte tenu de l'état neurologique très inquiétant et du pronostic neurologique péjoratif, la famille fait part qu'elle ne souhaite pas d'acharnement thérapeutique.

Le patient décède le 26 mars 2020.

Analyse selon la méthode ALARM

Cause immédiate

Décision d’administrer en association à un patient ayant un problème de rythme cardiaque sous Rythmol®, une dose d’Atarax® supérieure à la dose à ne pas dépasser (50 mg) en association à l’articaïne (association déconseillée) ce qui a pu majorer son trouble du rythme et induire le décès.

Causes profondes

 

  • Les conséquences pour le patient : décès évitable du patient lié à un défaut majeur de prise en charge. Interactions médicamenteuses non prises en compte.
  • Les conséquences pour l’établissement : un risque contentieux.

Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes. 

Barrière qui a détecté l’incident (prévention détection atténuation)

Détection

  • Convulsion du patient sur le fauteuil au cours de l’anesthésie lors de la première intervention. 
  • La réactivité du patient à la voix pendant la deuxième intervention.

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

Prévention : aucune mise en place de mesures de prévention pour ce type d’incident

  • Absence de mise en place de mesures barrières pour le travail en équipe : absence de débriefing, absence de verbalisation.
  • Absence d’appréciation collective du risque en péri-opératoire (staff chirurgical).
  • Pas de double vérification avant injection des anesthésiques.
  • Absence de check list.
  • Sur le plan matériel : absence de matériel type monitoring, absence des médicaments de l’urgence, absence de défibrillateur

Récupération

  • Massage cardiaque externe, oxygénation, appel du SAMU.
  • L’oxygénation et le MCE ont été immédiatement débutés par le médecin anesthésiste devant l’absence de pouls.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Autorisations d’activités

  • La structure pratiquant la sédation consciente devra avoir une autorisation délivrée par le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes  sur avis d’une commission composée de chirurgiens-dentistes et de médecins anesthésistes-réanimateurs.
  • La structure devra contracter un complément assurantiel spécifique pour la pratique de la sédation consciente par voie -intraveineuse.
  • Connaissance des obligations du médecin anesthésiste qui ne doit pas accepter de réaliser une anesthésie sans avoir réalisé une CPA règlementaire et installé le monitorage ad hoc (décret du 05/12/1994).
  • Selon les recommandations de l’HAS et conformément aux obligations règlementaires (articles D.6124-91 et suivants du Code de la santé publique), il sera prévu :
    • Une consultation pré-anesthésique (article D.6124-92 du code de la santé publique).
    • Choix des patients ASA 1 et 2 ; ASA 3 sous conditions particulières.
    • Un espace de surveillance post sédative du patient (article D.6124-97 et suivants du Code de la santé publique), un accompagnement de sortie avec l’accord du médecin anesthésiste réanimateur et la rédaction d’un compte rendu.
    • La prise en charge de la douleur postopératoire.
  • Une convention sera conclue entre le cabinet dentaire en ville et un établissement hospitalier ou le SAMU correspondant afin de créer les conditions d’une prise en charge d’une éventuelle complication ne pouvant être gérée au sein de la structure. 
  • Mettre en place entre les différents Conseils de l’Ordre respectifs, des contrats d’intervenants entre les différents acteurs de la sédation consciente par voie intra-veineuse.

Équipement des centres dentaires

Selon le livre blanc "la sédation consciente par voie intraveineuse au cabinet dentaire" disponible sur le site du conseil National de l’Ordre des chirurgiens-dentistes. 

1 - Les prérequis à la pratique de la sédation consciente par voie intraveineuse sont de disposer d’un environnement technique et monitorage de niveau 2 suivant :

  • Monitoring.
  • Supplémentation en oxygène.
  • Système d’aspiration.
  • Pharmacie appropriée.
  • Matériel de réanimation.
  • Contrôle du matériel avant intervention (surveillance du patient, matériel et pharmacie d’urgence).
  • Ce niveau prévoit dans tous les cas la gestion par le médecin anesthésiste-réanimateur d’un éventuel approfondissement de la sédation.

2 - Concernant le monitorage, tous les pays pratiquant la sédation consciente par voie intraveineuse imposent une surveillance per et postopératoire. Les sociétés savantes recommandent ainsi pour ces techniques de sédation :

  • La mesure de la saturation d’oxygène dans le sang (oxymétrie).
  • La représentation graphique de la concentration en dioxyde de carbone dans l’air au moment de l’inspiration et de l’expiration du patient (capnographie). Cette dernière permet notamment de détecter précocement tout épisode de dépression ventilatoire.
  • Un système d’aspiration, soit mobile soit fixe.
  • Une pharmacie appropriée : les médicaments adaptés à la prise en charge de toute situation nécessitant une approche médicamenteuse, seront définis en concertation avec le médecin anesthésiste-réanimateur. Une convention visée par les ARS et le Conseil de l’Ordre devra être conclue entre le chirurgien-dentiste habilité et le pharmacien d’officine, précisant notamment les conditions d’approvisionnement des médicaments nécessaires.
  • Le matériel de réanimation répond aux impératifs de la réanimation notamment oxygène, ballon auto-remplisseur, canule, seringues, garrot, tensiomètre, défibrillateur, laryngoscope (…).
  • Le sédatif utilisé est le midazolam.

3 - Démarche qualité sécurité

  • Check-list pré, per et postopératoire.
  • Mise en œuvre d’un outil de fiabilisation : check-list, to-do-list, no go.
  • Élaboration et Mise en place d’un outil type logiciel interne participant à la prévention des risques.
  • Mise en place de procédure d’analyse et de déclaration des EIAS (décret numéro 2016-1606 du 25 novembre 2016).
  • Organisation de la formation continue des praticiens : formation relative à l'utilisation des médicaments à haut risque en odontologie, une formation relative à l'anesthésie locale.

4 - Bonnes pratiques de prise en charge

  • Élaborer une procédure en matière de sédation associée aux soins dentaires : à afficher et à faire connaitre à tous les intervenants : check list des tâches.
  • Apprécier collectivement les risques en péri-opératoire (staff chirurgical).
  • Briefing sur état de santé du patient avant intervention : demande des examens médicaux, courrier d’autorisation auprès du médecin traitant du patient.
  • Double contrôle des doses anesthésiques locales par le médecin anesthésiste en cas de sédation vigile.
  • Faire connaitre les lieux et les procédures mises en place en cas d’intervenant extérieur afin de réduire le stress des intervenants.

5 - Règles de traçabilité

  • Consigner les documents concernant le patient dans le dossier médical et en cas de doute prendre contact avec le médecin du patient (généraliste ou spécialiste voire pharmacien). A tracer dans le dossier médical.
  • Vérifier le partage homogène des informations sur le patient en pré opératoire à tout intervenant, en particulier pour les personnels non permanents. Améliorer la traçabilité des données médicales.
  • Mettre en place une formalisation par écrits des échanges entre professionnels de santé assurant leur traçabilité.

Conclusion

Quel que soit l’acte réalisé en cabinet libéral ou en centre de santé, le praticien devra veiller à la mesure du rapport bénéfice/risque en évitant toute prise de risque pour le patient dans l’organisation des séances de mise en œuvre du plan de traitement, "primum non nocere". 

Dans le cas présenté, les extractions auraient pu être réalisées arcade par arcade dans un premier temps puis, après un temps de cicatrisation, pose des implants par arcade avec pose de moins d’implants que prévus par arcade (4 au maxillaire et 2 à la mandibule) . Le temps de traitement aurait été plus long mais plus sécure compte tenu de l’âge et de l’état de santé du patient. 

Sur le plan organisationnel, il est indispensable que soit mise en place dans les centres de santé une démarche qualité.

L’obligation faite par la loi d’encadrement des centres dentaires et ophtalmologiques du 19/05/2023, rendant obligatoire la création de comité de sécurité, permettra une acculturation à la qualité et à la gestion des risques, en n’omettant pas la création d’une charte de non sanction au sein des centres. 

Pour aller plus loin

Le livre blanc de la sédation consciente par voie intraveineuse au cabinet dentaire. Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.
Logiciel Seirich - Un outil pour évaluer et prévenir les risques chimiques dans votre entreprise - INRS (Recherche des fiches de sécurité des produits utilisés en cabinet).

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Adressez-nous votre commentaire à contacts@prevention-medicale.org 

Crédit photo : BRUNO / IMAGE POINT FR / BSIP